Refuge Marcadau Wallon
Certains randonneurs ne jurent que par les boucles. Les allers retours semblent être pour eux un échec, une faute esthétique. Lorsque dépités, ils réalisent que les cols sont enneigés et qu’ils n’ont ni l’équipement ni le niveau pour réaliser leur projet initial, qu’ils vont certes pouvoir s’élever quelque peu mais qu’ensuite il faudra rebrousser chemin, leurs traits s’affaissent et la dépression semble les gagner.
Loin de moi l’envi de décrier la boucle, qu’elle soit pédestre ou musicale, je m’en délecte volontiers. Cela dit, revenir par le même itinéraire ne m’a jamais gêné ; j’ai vite compris qu’à moins de revenir en marche arrière , faire demi-tour entraînait un total changement de panorama, un point de vue bien différent de celui de l’aller, que la lumière était différente et que la nouveauté pouvait être au rendez-vous pourvu qu’on ouvre les yeux. Quand bien même d’ailleurs il n’y aurait du fait d’un manque d’attention ou de curiosité, aucune nouveauté, refaire exactement le même chemin peut-être plaisant. À raison d’une quarantaine de montées-descentes par saison au refuge et après dix ans de présence, ça nous fait dans les 400 aller-retours. Si je ne suis pas transporté à chacune de ces marches par un tsunami d’allégresse, leur répétition n’altère pour autant en rien le plaisir d’être dans cet endroit sauvage et vaste, je jouis de la connaissance parfaite de l’itinéraire et peu laisser mon esprit vagabonder où au contraire se concentrer sur les détails du paysages, m’émouvoir d’un rayon de lumière teintant ce bloc de granit pourtant familier d’une couleur nouvelle. De même l’amateur de musique, s’il ne dédaigne pas la nouveauté, réécoute ses morceaux fétiches depuis des décennies sans se lasser le moins du monde.
Le va et vient peut-être une intarissable source de jouissance dans bien des domaines, et j’espère ne rien vous apprendre en énonçant cette platitude crasse. La promenade ou la randonnée ne font pas exception ; encore faut-il disposer des aptitudes à jouir de l’instant. Je conviens volontiers que ça puisse être délicat si par exemple vous êtes affublé d’une monumentale rage de dent, que votre hamster vient d’être écrabouillé sous la malencontreuse savate de belle-maman ou encore si vous êtes obligé de manger une côte de bœuf trop cuite parce votre patron vous à exceptionnellement invité chez lui, qu’il a des goût de chiotte en matière culinaire et en musique aussi d’ailleurs mais que voilà, vous voulez pas perdre votre taff et du coup vous l’écoutez pérorer en bouffant de la viande cramée ; seulement voilà, ça ne semble pas être le cas des quidams se pointant ici, du coup je suis pour le moins dubitatifs et me demande même si pour certains d’entre eux, il n’ont pas développé quelque appétence perverse à ne jouir que dans l’insatisfaction permanente. C’est tout compte fait assez remarquable, du moins si ma théorie est juste et qu’effectivement ils éprouvent du plaisir ; sinon je comprends pas...